- THÉRAPEUTIQUE - Chimiothérapie
- THÉRAPEUTIQUE - ChimiothérapieLa chimiothérapie est la science qui se propose d’appliquer, à des fins thérapeutiques, des «principes actifs» naturels ou synthétiques de structure parfaitement connue. Par extension et du fait qu’elle évolue de plus en plus vers une science exacte, la chimiothérapie se propose de dépasser le stade empirique et de mieux connaître le mécanisme d’action des principes actifs ou des médicaments qu’elle utilise. Elle s’appuie sur les données récemment acquises par trois autres disciplines: biochimie, biologie moléculaire et pharmacologie.Selon une convention entérinée par l’usage et due à son histoire même, le terme «chimiothérapie» est cantonné dans un sens plus restreint que son étymologie ne le laisserait supposer: on entend par chimiothérapie le traitement des maladies dues à des parasites systémiques, c’est-à-dire des maladies tropicales ou parasitaires , des maladies infectieuses (bactériennes et virales), et enfin le traitement du cancer . Cette définition restreinte est particulièrement bien illustrée par le sommaire des traités ou des revues de chimiothérapie ainsi que par le programme des congrès internationaux qui ont lieu tous les deux ans et figurent parmi les activités principales de la Société internationale de chimiothérapie.Voyons seulement à titre d’exemple les étapes qui ont fait franchir un pas décisif dans le traitement des infections diverses. Parmi les découvertes anciennes, rappelons entre autres celles de deux produits connus depuis le XVIIe siècle: la racine d’ipéca pour le traitement de la dysenterie, et l’écorce de quinquina pour le traitement de la malaria. Une autre étape importante fut atteinte dès le milieu du XIXe siècle, grâce à Pasteur et à Lister qui généralisèrent l’asepsie et l’antisepsie en milieu hospitalier; le phénol figure parmi les premiers antiseptiques utilisés à grande échelle. Vinrent ensuite les travaux mémorables de Paul Ehrlich (1874-1915) considéré à juste titre comme le père de la chimiothérapie; ces travaux devaient aboutir à l’utilisation de divers composés arsenicaux comme antiparasitaires. Par la suite, deux grands progrès devaient être successivement accomplis: l’utilisation des sulfamides en tant qu’agents anti-infectieux, découverte due à Domagk et à une équipe française de l’Institut Pasteur dirigée par Tréfouël, puis l’utilisation de nombreux antibiotiques majeurs. L’application des antibiotiques ne fut que la valorisation de la découverte de la pénicilline par Fleming en 1929, fait qui passa presque inaperçu à l’époque.1. La recherche des molécules activesL’examen du catalogue des médicaments majeurs utilisés en thérapeutique révèle que la découverte de ceux-ci est due à six démarches ou modes d’investigation principaux:– L’exploitation des pharmacopées traditionnelles, notamment l’utilisation des plantes connues souvent depuis des siècles pour leur valeur médicinale; à partir de ces plantes, de nombreux principes actifs encore très valables ont pu être isolés à l’état pur: quinine, morphine, colchicine, réserpine (cf. MÉDICAMENTS, PHARMACOLOGIE).– L’exploitation raisonnée d’une observation fortuite: ce fut le cas de la découverte de la pénicilline par Fleming, suivie de celle de nombreux autres antibiotiques naturels, selon le même principe.– La modification artificielle de molécules d’origine naturelle pour en améliorer les performances; c’est le cas des nombreux antibiotiques d’hémisynthèse obtenus à partir des grands produits naturels.– Le criblage ou screening ; cette méthode consiste à mettre au point une batterie de tests biologiques et à examiner systématiquement, et sans idée préconçue, l’activité des molécules les plus diverses vis-à-vis de ces tests. Le rendement est très faible, et c’est là une démarche routinière assez peu satisfaisante pour l’esprit.– Les relations entre structure et activité et les modèles biochimiques. L’étude du mécanisme d’action des médicaments et la meilleure connaissance des récepteurs de ceux-ci au niveau des organes cibles permettent déjà, dans certains cas, de concevoir, grâce à des études très raffinées de géométrie moléculaire, le médicament idéal devant avoir telle ou telle activité. Cette méthode a déjà remporté des succès remarquables dans divers domaines de la thérapeutique par exemple: cimétidine et bloquage des récepteurs – H2, captopril et antagonisme du système rénine – angiotensine. De tels succès sont à prévoir également dans le cas de la chimie thérapeutique en général, les molécules ainsi conçues jouant le rôle de ces fameux «boulets magiques» atteignant spécifiquement le but recherché, selon la prédiction de Paul Ehrlich au début de ce siècle.– L’utilisation de la biotechnologie afin de produire de nouvelles souches microbiennes ayant des performances accrues pour la production d’antibiotiques; on peut également utiliser la recombinaison génétique pour programmer la biosynthèse d’hormones peptidiques ou d’interférons chez des micro-organismes.Si l’on considère que la première «révolution thérapeutique» est due à l’application de drogues bien définies agissant également selon des mécanismes bien définis (antibiotiques, neurodrogues, hormones), la seconde révolution thérapeutique sera due à une intervention contrôlée au niveau du génome pour soigner réellement les causes des maladies.2. Les étapes de l’expérimentationLorsqu’une molécule supposée active est bien caractérisée quant à ses propriétés physico-chimiques, on doit la soumettre à une suite d’investigations longues et coûteuses avant de la reconnaître comme médicament. Dans le cas de la chimiothérapie anti-infectieuse, par exemple, on doit d’abord éprouver son activité sur une série de germes pathogènes par rapport à des produits de référence bien définis, évaluer ensuite sa valeur thérapeutique chez l’animal pour des infections microbiennes expérimentales et, enfin, vérifier qu’elle est dépourvue de toxicité. Alors seulement, est-on en droit de commencer prudemment l’évaluation de sa valeur thérapeutique en clinique humaine.3. Principes généraux de la chimiothérapieCes principes généraux sont résumés dans le tableau 1 qui présente de façon schématique le résultat de plus de soixante ans de recherche. Ce tableau est loin d’être un aboutissement, car au fur et à mesure que l’on croit résoudre tel ou tel problème thérapeutique, de nouvelles difficultés surgissent: accidents dus à la toxicité à long terme; apparition, dans tous les domaines, de souches pathogènes résistantes; apparition, du fait des progrès matériels et de l’abaissement des moyens de défense de l’organisme humain, de nouvelles espèces pathogènes, jadis réputées inoffensives. On peut considérer que, dans son ensemble, le problème de la chimiothérapie antiparasitaire relève davantage du sous-développement que de la thérapeutique proprement dite, car, d’une part, il existe de bons médicaments pour lutter contre les parasites, d’autre part, des maladies endémiques telles que le paludisme, la maladie du sommeil, diverses helminthiases ont disparu des régions qui ont été assainies et où la population s’est soumise à des mesures élémentaires d’hygiène et de discipline de vie. Le problème de la chimiothérapie antibactérienne et antifongique est considéré comme résolu dans son ensemble, mais il n’en appelle pas moins une vigilance constante.Les maladies à virus et le cancer, malgré les efforts énormes déployés, surtout vis-à-vis du cancer, continuent à poser des problèmes chimiothérapeutiques. Les succès sporadiques remportés dans ces deux domaines sont-ils un encouragement suffisant? On tente de résoudre le problème des virus et celui du cancer par des formes thérapeutiques autres que la chimiothérapie, ou encore par l’association de la chimiothérapie à d’autres thérapeutiques.4. Les antibiotiquesChacun sait l’importance du rôle que les sulfamides et surtout les antibiotiques ont joué dans les progrès spectaculaires de la thérapeutique des maladies infectieuses depuis bientôt une cinquantaine d’années. De nombreuses maladies considérées, il n’y a guère plus d’une génération, comme fatales, ou incurables, telles que la peste, la diphtérie, la typhoïde, la tuberculose, la syphilis, ont été jugulées en quelques années par des produits que l’on peut qualifier sans exagération de «miraculeux»: pénicilline, streptomycine, tétracycline, etc. Un tel succès n’était même pas concevable avant l’ère des antibiotiques, car on n’imaginait pas possible de combattre par un seul agent chimique des espèces microbiennes aussi variées que les bacilles ou les cocci Gram + ou Gram 漣, les mycobactéries. C’est pourtant ce qui se réalisa avec la streptomycine. Cette attitude dogmatique et erronée a, du reste, fâcheusement contribué à ralentir l’essor des antibiotiques, car la notion d’antibiose avait été énoncée depuis fort longtemps, et par des savants aussi éminents que Pasteur, dès la fin du XIXe siècle.Les propriétés, le mode d’emploi et la valeur thérapeutique des sulfamides et des sulfones sont traités dans d’autres parties de cet ouvrage [cf. SULFAMIDES ET SULFONES], ainsi que ceux des antibiotiques [cf. ANTIBIOTIQUES].Les antibiotiques majeurs sont non seulement les «drogues miracles» que chacun a utilisées au moins une fois dans sa vie, mais ce sont aussi des molécules précieuses pour le biologiste qui s’intéresse à la croissance et à la multiplication cellulaire. En d’autres termes, les antibiotiques, qui sont des inhibiteurs spécifiques de l’un ou l’autre de ces deux processus fondamentaux, ont apporté, depuis 1960, des informations capitales en biologie moléculaire.Les tendances de la chimiothérapie des maladies infectieuses montrent l’importance constante des antibiotiques de la série pénicillines-céphalosporines (cf. notamment XIIe congrès international de chimiothérapie, Florence, 1981). On utilise largement à l’heure actuelle des pénicillines à large spectre comme mezlocilline, azlocilline, pipéracilline, apalcilline, ayant une bonne activité intrinsèque sur les germes Gram négatifs, et stables vis-à-vis des facteurs de résistance élaborés par des bactéries. Le fait que ces pénicillines soient actives sur des germes aussi récalcitrants que Klebsiella , Serratia , Pseudomonas leur confère un intérêt accru par rapport aux molécules traditionnelles de la même famille. Dans la série des céphalosporines , on en est actuellement à la «troisième génération», les performances les plus remarquables étant obtenues contre les entérobactéries et, notamment, Pseudomonas ; en plus des produits déjà largement utilisés comme céfotaxime, céfoperazone, cefotiame, on doit reconnaître l’intérêt évident de nouveaux produits: moxalactame, ceftriaxone. Toutes ces nouvelles céphalosporines ont une bonne activité sur les Gram négatifs mais une activité inexistante ou insuffisante sur les Gram positifs. En cas d’infection par un germe inconnu, il est souhaitable de les associer à un antibiotique de la série des aminoglycosides.Une autre découverte dans ce domaine a montré que l’on n’a pas encore épuisé les ressources fournies par la nature en fait de nouveaux antibiotiques: il s’agit d’une nouvelle classe de molécules apparentées aux pénicillines - céphalosporines: les monobactames . Ces antibiotiques comportent bien la liaison 廓-lactame caractéristique, mais ils n’ont plus qu’un seul noyau hétérocyclique au lieu de deux.Les monobactames furent découverts à l’état naturel dans une bactérie vivant dans le sol d’une forêt de conifères à proximité du laboratoire de recherche de Squibb à Newark (N.J.). Selon une ironie du sort, ces laboratoires se sont donné beaucoup de peine pour synthétiser des molécules nouvelles dans le domaine du médicament sans se rendre compte qu’ils avaient à la portée de la main une molécule naturelle susceptible de révolutionner la thérapeutique. Ces antibiotiques, nouvellement expérimentés, sont sans action sur les germes Gram positifs, mais actifs à des concentrations frisant la limite imaginable sur certaines entérobactéries à Gram négatif. À titre d’exemple, l’un de ces antibiotiques: le SQ 26776, est capable d’inhiber la croissance de Proteus spp à une concentration de 0,0015 猪g/ml. Une telle performance est remarquable quant à l’avenir de cette série, et quant à l’avenir des patients.Dans le domaine de l’antibiothérapie, les progrès semblent donc satisfaisants sous l’aspect conception et découverte de nouvelles molécules actives. On doit par contre noter une certaine stagnation du côté des associations 廓-lactamines - inhibiteurs de 廓-lactamase. Ces inhibiteurs, tels que l’acide clavulanique, ont pour fonction d’inhiber les 廓-lactamases qui comptent parmi les facteurs de résistance (en fait enzymes) élaborés par les germes devenus résistants aux antibiotiques. La spécificité des 廓-lactamases est justement d’inactiver les antibiotiques par ouverture de la liaison 廓-lactame. L’association 廓-lactamine - inhibiteur de 廓-lactamase permet dans le cas des pénicillines d’abaisser les concentrations minimales inhibitrices de plusieurs puissances de dix, in vitro. Mais on peut se demander s’il en va de même au cours de l’application thérapeutique.5. Les problèmes présents de la chimiothérapieAprès les succès remportés dans la lutte contre les maladies bactériennes les plus redoutables, on pouvait s’attendre à de nouvelles prouesses de la chimiothérapie dans la lutte contre les maladies à virus et contre le cancer. Or, dans ces deux domaines, les progrès sont extrêmement lents, et il n’est pas évident que la chimiothérapie y tienne une place prépondérante.La lutte contre les maladies à virusLes virus sont responsables de plus de 50 p. 100 des maladies humaines: soit des maladies bénignes que l’on laisse évoluer vers la guérison avec un traitement palliatif (rhinite, grippe, rougeole, rubéole, oreillons), soit des maladies graves pour lesquelles on dispose de vaccins (poliomyélite, rage, variole, fièvre jaune, hépatite virale). Enfin, on soupçonne de plus en plus les virus d’être à l’origine du cancer et d’autres maladies redoutables, comme la sclérose en plaques, l’arthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux, le virus du sida.Les succès objectivement contrôlés de la chimiothérapie antivirale sont sans commune mesure avec le nombre de produits expérimentés, qui se monte à plusieurs milliers.Selon les principes appliqués dans le cas des sulfamides et des antibiotiques, on a recherché pour le traitement des maladies à virus, en plus d’un tri au hasard, des substances qui soient des antimétabolites de systèmes enzymatiques fondamentaux pour la multiplication virale. Le fait que la multiplication des virus mette en jeu la synthèse rapide de leur acide nucléique constitutif, ADN ou ARN, a conduit les chercheurs à inventorier l’efficacité antivirale des analogues de structure des composants nucléiques: nucléobases, nucléosides, nucléotides... D’où un gigantesque programme de synthèse et d’expérimentation où deux impératifs doivent être respectés: l’activité des produits et leur inocuité en clinique humaine.Parmi les succès incontestables de la chimiothérapie antivirale, il convient de mentionner (tabl. 2):– Idoxuridine ou 5-lodo-uracile désoxyriboside (IUDR), le premier analogue de structure utilisé avec succès dans le traitement de l’herpès de la cornée.– Cytosine arabinoside , médicament ayant remporté des succès dans le traitement du cancer et des maladies à virus. Toutefois l’effet immuno-suppresseur de cet analogue de la cytidine semble en limiter sérieusement l’emploi.– Adénine arabinoside , ou vidarabine. Les premières observations sur l’activité antivirale de ce nucléoside, analogue de structure de l’adénosine, furent effectuées par Privat de Garilhe et de Rudder en 1964: dès cette époque il apparut nettement que ce composé était efficace vis-à-vis des virus à ADN comme l’herpès, par contre dépourvu d’activité vis-à-vis des virus à ARN. Par la suite, les expériences de Sanger et al. devaient mettre en lumière le mécanisme d’action des arabinosides, une inhibition compétitive au niveau de l’élongation des chaînes d’ADN. C’est l’effet du type «terminateur de chaîne» dans le cas d’ADN infectieux de virus. Il semblerait que la biosynthèse de l’ADN cellulaire puisse passer outre, grâce aux enzymes de réparation, ce qui expliquerait la valeur thérapeutique des arabinosides.L’expérimentation antivirale de l’adénine arabinoside, commencée sur cultures cellulaires et sur l’animal en 1964, devait recevoir une impulsion remarquable, une bonne décennie plus tard, lors de la publication du bilan d’une large application clinique entreprise en vue d’évaluer son efficacité dans le traitement de l’encéphalite herpétique. Ce bilan réalisé par des spécialistes américains, appartenant à une quinzaine de centres hospitaliers, sous le patronage des National Institutes of Health, a montré effectivement la valeur du produit dans le traitement de cette redoutable localisation du virus de l’herpès.Le traitement de l’encéphalite herpétique par adénine arabinoside, ou Vidarabine, sous forme de perfusion quotidienne de 1 gramme de produit par jour pendant dix jours, réduit la mortalité de 70 à 28 p. 100; malgré l’importance de la dose, aucun effet secondaire fâcheux n’est observé.L’adénine arabinoside s’est montrée efficace en perfusion dans le traitement du zona chez des sujets immunodéprimés, et en application sous forme de collyre dans le traitement de la kératite herpétique.– Acycloguanosine ou Acyclovir. Il s’agit également d’un analogue de structure des nucléosides, efficace uniquement sur les virus à ADN. Ses applications sont les mêmes que celles de l’adénine arabinoside: il est efficace dans le traitement des ulcérations zostériennes et, sous forme de collyre à 3 p. 100, dans le traitement des kératites herpétiques.Parmi les produits divers issus du screening, il convient de mentionner l’amantadine et la rimantadine, produits dérivés de l’adamantane. D’importantes expérimentations effectuées à double insu ont confirmé l’efficacité de ces substances contre la grippe de type A, à titre préventif.Il convient de mentionner, pour clore ce chapitre sur les virus, les systèmes de lutte biologique, éprouvés ou à l’étude, situés dans une position marginale vis-à-vis de la chimiothérapie, du moins quant à leur nomenclature.– Immunothérapie. Il s’agit des vaccins dont l’efficacité a été reconnue depuis l’époque pastorienne et qui n’ont cessé de se perfectionner depuis, quant au nombre des maladies traitées à titre préventif et quant à leur pureté, c’est pourquoi de la biothérapie on en vient ici aussi à la chimiothérapie. Les succès actuels concernent le vaccin antihépatite virale et l’application de la recombinaison génétique pour fabriquer de nouveaux vaccins: parmi ces nouveaux espoirs de la biotechnologie, la fabrication d’un vaccin hautement purifié, efficace contre la fièvre aphteuse. L’antigène purifié conférant l’immunité contre cette maladie se présente comme une protéine pure, de faible masse moléculaire. Deux injections de 250 猪g chacune de ce vaccin sont suffisantes pour immuniser un animal de la taille d’un bœuf, et, de plus, la sécurité d’emploi est totale. Onest loin évidemment de ces vaccins traditionnels – efficaces pour sûr, et qui ont sauvé tant de vies humaines –, constitués par des sérums entiers ou des broyats de tissus.– Interférons. Les interférons sont des systèmes naturels de défense de l’organisme contre l’invasion des virus. Ils sont de nature protéique, strictement spécifiques des cellules-hôtes, mais non spécifiques des virus. En d’autres termes, l’interféron humain est strictement spécifique de l’espèce Homo sapiens ; il est produit par cette espèce comme moyen de défense contre les divers virus susceptibles de la parasiter. Pour les applications thérapeutiques de l’interféron chez l’homme, on doit obligatoirement utiliser de l’interféron d’origine humaine, ou un matériel en tout point identique à l’interféron humain; grâce aux techniques de génie génétique, on a pu le synthétiser.La nomenclature des interférons est encore incomplète; divers groupes ont été décrits à l’heure actuelle [cf. INTERFÉRON]. Le groupe I comporte: les interférons 見 provenant des leucocytes humains avec au moins une dizaine de sous-espèces moléculaires et les interférons 廓, provenant des fibroblastes. Tous ces interférons sont des protéines constituées par des enchaînements de 165 aminoacides environ. Le groupe II, ou interférons 塚, est produit en réponse à des stimuli provoqués par des mitogènes ou des antigènes. Ils sont également de nature protéique et comporteraient 146 aminoacides.Malgré les grands espoirs suscités par les interférons depuis plusieurs décennies, aussi bien pour le traitement des maladies à virus que pour le traitement du cancer, des résultats satisfaisants sont obtenus avec l’interféron 見 pour certaines leucémies, sarcome de Kaposi, hépatites chroniques et les cancers du rein. Mais certains effets secondaires sont signalés, ce qui en limite encore l’emploi.L’obtention, sur une grande échelle, d’interféron pur, par recombinaison génétique, permet de résoudre le problème interféron. Il convient de souligner également la grande performance scientifique représentée par la synthèse totale du gène interféron – I – 見: l’insertion de ce gène dans E. coli et l’obtention d’un interféron identique au produit naturel (Edge et al., 1981).La chimiothérapie anticancéreuseLa lutte contre les différentes formes de cancer par les agents mis au point dans le cadre de la chimie thérapeutique a été l’objet d’un gigantesque effort de recherche à l’échelle mondiale. C’est ainsi par exemple que le National Cancer Institute (N.C.I.), sous l’égide du Congrès, a inventorié plus de 700 000 substances et extraits, depuis 1955, appartenant aux catégories que nous allons définir ci-dessous. Ce vaste programme était parti sur une base de 40 000 produits par an, de 1955 à 1975, réduit ensuite à 15 000 produits par an, étudiés de façon plus rationnelle (Frei, 1982). Il semble évident à l’heure actuelle que les efforts ne doivent pas porter tellement sur la recherche forcenée d’agents anticancéreux possibles, en provenance de toutes les sources aussi bien naturelles que synthétiques, mais sur une meilleure conception du traitement: c’est-à-dire la planification plus efficace des cycles d’administration de médicaments associés, la connaissance du mécanisme d’action des médicaments, la réalisation de chimiothérapie, adjuvante d’autres thérapeutiques.Une notion s’est imposée au cours des vingt dernières années: la connaissance du cycle cellulaire et l’évidence de la «dernière cellule cancéreuse» (Mathé, 1972; Calabresi et Parks, 1980).Il semble que les drogues antimitotiques n’agissent que sur les cellules dites «dans le cycle» (de reproduction) et épargnent les cellules en dehors du cycle. Dans le cas particulier, mais significatif, des néoplasies des cellules de la lignée sanguine, 15 p. 100 des cellules-souches de la moelle osseuse se trouvent en dehors du cycle de reproduction de ces cellules. Ces 15 p. 100 échappent à l’action des produits antimitotiques donnés à forte dose. Les cellules-souches de la moelle osseuse épargnées peuvent ensuite reconstituer la lignée des cellules sanguines, en attendant un second traitement par les produits antimitotiques. Ce type de traitement serait beaucoup plus efficace qu’un traitement continu par de faibles doses de produits antimitotiques qui a surtout un effet immunosuppresseur. On doit également souligner le fait que la seule chimiothérapie ne peut exterminer complètement les cellules cancéreuses jusqu’à la dernière: en effet, supposons une régression tumorale spectaculaire de 1 kg (1012 cellules) à 1 g (109 cellules); ce traitement en apparence miraculeux est en fait un échec si on s’en tient là, car on n’a détruit que 3 puissances de 10 du nombre total de cellules malignes alors qu’il en reste encore 9. C’est pourquoi, l’éradication de la dernière cellule cancéreuse ne peut s’obtenir par la seule chimiothérapie, mais semble-t-il par l’association judicieusement contrôlée de la chimiothérapie dans un premier temps et de l’immunothérapie active dans un second temps; ce second traitement est efficace seulement si la population totale des cellules malignes a été ramenée à un taux inférieur ou égal à 105 cellules. Moyennant quoi, près de la moitié des malades de moins de vingt ans atteints de leucémie lymphoïde aiguë sont encore en survie et en bonne santé au bout de cinq ans.Ces exemples montrent que nous avons peut-être déjà sous la main des armes efficaces pour lutter avantageusement contre certaines formes de néoplasies, mais à condition de savoir les utiliser avec discernement.Malgré des succès sporadiques, la chimiothérapie demeure pour la plupart des cancérologues l’arme de la dernière chance, après épuisement des ressources offertes par la chirurgie et la radiothérapie, ou l’arme que l’on doit utiliser dans les cas où ni la chirurgie ni la radiothérapie ne peuvent être appliquées: c’est le cas en particulier des leucémies.En consultant les structures des principaux agents anticancéreux (tabl. 3), on se rend compte rapidement que ce sont des armes à double tranchant. En effet, ce sont généralement des agents antimitotiques, pas suffisamment sélectifs dans leur action vis-à-vis des cellules cancéreuses; l’expérience a montré qu’ils agissent également sur les tissus normaux en voie de prolifération rapide, c’est-à-dire les cellules sanguines, les cellules des muqueuses gastriques et intestinales se renouvelant rapidement, la lignée germinale, etc.Principales catégories– Les agents d’alkylation provoquent l’alkylation des résidus guanine de l’ADN avec, soit altération, soit rupture des chaînes. Des modulations au niveau du site d’action de ces composés ont été obtenues en faisant varier les molécules supports des groupements alkylants ; on obtient de cette façon-là une certaine spécificité vis-à-vis des localisations tumorales. Le groupe nitroso-urée étant plus liposoluble que le groupe des composés «moutarde», franchit de façon plus aisée la barrière hématoméningée.– Les antimétabolites: on trouve des représentants, analogues de structure des principaux métabolites connus: vitamines, aminoacides, purines, pyrimidines, nucléosides.Le méthotrexate, analogue de l’acide folique, représente l’un des succès de la chimiothérapie du cancer: le traitement réussi du choriocarcinome.Parmi ces antimétabolites, une place de choix revient au cytosine arabinoside également utilisé en chimiothérapie antivirale. Ce composé, de même que les autres arabinosides, est un inhibiteur de la biosynthèse de l’ADN par un effet terminateur de chaînes. Il s’agit d’une inhibition réversible qui peut être levée par le métabolite normal, en l’occurrence la désoxy-cytidine.Une catégorie relativement nouvelle, actuellement en cours d’étude, est représentée par l’inhibition enzymatique irréversible par les «inhibiteurs-suicide» type difluorométhyl ornithine.– Les sels de platine: il s’agit de sels de coordination du platine dont le plus connu est le cisplatine ou cis-diamino-dichloroplatine. Malgré une toxicité évidente au niveau rénal et auditif, le cisplatine est utilisé en association avec d’autres produits pour le traitement de carcinomes testiculaires et ovariens. Il agit au niveau de l’ADN, selon un mécanisme comparable à celui des agents d’alkylation: pontage des chaînes d’ADN.– Les antibiotiques, produits de fermentation: depuis le début de son programme, le N.C.I. a recensé et étudié environ 200 000 produits de fermentation. Les recherches furent stimulées à l’origine par la percée thérapeutique remarquable des antibiotiques, permettant d’espérer des succès comparables dans le domaine du cancer. Cet espoir fut en partie seulement comblé: le premier antibiotique doué de propriétés anticancéreuses fut l’actinomycine D, découverte par Waksman, l’inventeur de la streptomycine, en 1952. Puis on découvrit en Europe l’adriamycine et la daunorubicine, et, au Japon, la bléomycine. Tous ces antibiotiques présentent des structures polycycliques et leur mécanisme d’action est un phénomène d’intercalation dans la double hélice de l’ADN. Ce sont donc des substances intercalaires, au même titre que la chloroquine, par exemple.– Les plantes; alcaloïdes de la pervenche: selon le même principe que pour les produits de fermentation, le N.C.I. a examiné 112 000 extraits de plantes en provenance de 35 000 espèces différentes. L’attention s’est portée d’abord sur les plantes connues pour leurs vertus thérapeutiques, et c’est ainsi que furent découverts des médicaments majeurs: vincristine et vinblastine, extraits de la pervenche, et taxol, extrait de l’if.Dans le domaine des produits d’origine animale, en particulier les produits marins, peu de substances intéressantes ont été mises en évidence; aucune n’a atteint le stade clinique. Il s’agit donc manifestement d’un secteur en perte de vitesse, tout au moins en ce qui concerne le cancer.– Les modulateurs biologiques: cette catégorie comporte des agents susceptibles de modifier la réponse biologique des cellules de façon agoniste ou antagoniste. La réponse immunitaire antigène-anticorps en est un exemple connu depuis longtemps et bien défini. Dans le cas du cancer, on peut envisager ce type de réaction comme moyen de lutte. Le rôle des cytokines est examiné dans l’article IMMUNORÉGULATION, ci-après.Bilan de la chimiothérapie anticancéreuseDe l’expérimentation considérable effectuée à l’échelle internationale au cours des vingt-cinq années écoulées, il ressort que 150 produits furent jugés suffisamment actifs pour mériter une expérimentation clinique. Parmi ceux-ci, 40 furent reconnus actifs sur un ou plusieurs types de cancers humains, au cours d’essais cliniques dits de phase 1. C’est au cours de ces essais que furent mis au point les principes et la pratique de la chimiothérapie utilisant l’association de deux ou plusieurs produits – ce que l’on appelle la polychimiothérapie (Frei, 1982).Le bilan de cet effort considérable de recherche biomédicale est tout de même substantiel: la chimiothérapie a montré une valeur curative pour les patients atteints de leucémie aiguë lymphocytique, de maladie de Hodgkin, de lymphome histiocytique diffus, de cancer des testicules, de choriocarcinome, de tumeur de Wilm, de tumeur d’Ewing, de rhabdocarcinome et de lymphome de Burkitt. De plus, la chimiothérapie a démontré son efficacité contre le cancer à petites cellules du poumon, la leucémie myélocytique aiguë, le cancer du sein et le sarcome ostéogénique.Pour le futur, de grands espoirs sont investis dans les facteurs naturels de régulation de la multiplication cellulaire: les facteurs de croissance cellulaire, les lymphokines, l’interféron. Du fait que tous ces effecteurs sont de nature protéique, on peut envisager leur synthèse totale programmée par recombinaison génétique. Dans le même contexte, la découverte des oncogènes, l’immunologie des tumeurs et les anticorps monoclonaux apportent une contribution importante sur la connaissance du cancer et sur son traitement.Enfin, dans le cas du cancer vu sous l’angle de l’épidémiologie et de la lutte sur le plan socioéconomique, peu de progrès ont eu lieu depuis que la Concertation nationale, le 21 janvier 1983 à Paris, a largement démontré que la thérapeutique n’était que l’un des aspects de la lutte. Les carences apparues nettement dans le cas d’une nation comme la France se situent au niveau de l’épidémiologie du cancer d’une part et de l’inégalité des citoyens confrontés à cette menace d’autre part: inégalité face au risque, notamment professionnel; inégalité quant à l’accès aux soins et à la réinsertion sociale; inégalité du fait de la répartition géographique et de l’accès au dépistage. Reste le mode de vie: on connaît parfaitement l’influence néfaste du tabac et de l’alcool.Il est évident que la prévention du cancer vue sous l’angle socioéconomique serait un appui énorme pour toutes les formes de thérapeutique proprement dite. Cette prévention suppose au préalable un vaste effort au niveau de l’épidémiologie du cancer.
Encyclopédie Universelle. 2012.